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AU SPITZBERG.

et les tourbillons de la neige. Tout le monde était morne : on voyait l’excès de la fatigue sur tous les visages ; cependant on était soutenu par l’espoir d’arriver bientôt à Karesuando, mais jusque-là que de misères encore ! Le soir de ce jour, après nombre de marais et quantité de rivières que nous passâmes, et que je vous passe, nous atteignîmes le lac Suvajervi (lac Profond). Au bord du lac était une maison de Lapon.

C’était une étroite et chétive maison ; mais elle me parut un palais, et j’y entrai avec un sentiment que comprendront seuls les gens qui connaissent les horreurs d’un bivouac sous l’eau et dans l’eau. La maison était construite comme celles dont je vous ai parlé, en troncs de bois, et recouverte en gazon : l’unique pièce de l’habitation était entourée de coffres garnis de foin, lits habituels de la famille. Comme je m’étais en hâte approchée de la grande cheminée où brûlaient de longues branches de bouleau, je crus voir remuer quelque chose dans un des coffres : c’était l’aïeul de la famille, retenu là par ses infirmités ou sa vieillesse ; ce pauvre être semblait avoir au moins quatre-vingts ans. Je dis être, car je ne pus deviner si c’était un homme ou une femme. Il était perclus et sourd ; un reste de vie éclairait seulement encore de lueurs fugitives ses yeux, qu’il roulait autour de lui sans jamais les arrêter sur rien.

Par un de ces contrastes si fréquents dans la nature, auprès de cette ruine humaine était posé, sur une couche de fougères sèches, un petit enfant d’environ deux ans, aux joues fraîches, aux yeux brillants, aux membres ronds et potelés, beau de la