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AU SPITZBERG.

lorsqu’il aperçoit un rocher redoutable, est très-curieuse à observer : il gouverne directement sur l’écueil, et, au moment où la barque va s’entr’ouvrir dans un choc, il donne une secousse au gouvernail ; le bateau fait un brusque écart comme un cheval effrayé décrit un angle, et continue sa course folle au milieu des tourbillons bruyants. Le bruit assourdissant de l’eau, la pluie d’écume dont on est couvert, empêchent de se rendre compte du danger ; on l’aperçoit seulement lorsqu’en regardant derrière soi on voit au loin la barre furieuse et mugissante de la cascade. Une demi-heure après on entend un grand bruit ; c’est un autre rapide et on recommence. Cette lutte entre le fleuve et le bateau, cette victoire continuellement renouvelée de l’adresse de l’homme contre la force aveugle d’un élément, aurait l’attrait de tout péril affronté et vaincu, s’il ne s’y joignait le désagrément peu glorieux d’être mouillé jusqu’aux os par la pluie des cascades et les lames qu’on embarque ; ajoutez-y l’ennui d’être obligé de se tenir, toujours couché, immobile au fond d’un bateau ; et tout cela dure longtemps, car on rencontre quatre-vingt un rapides plus ou moins importants entre Karesuando et Torneä, dans un espace d’environ cent dix lieues.

La plus fameuse des cascades du fleuve est près de Muonioniska ; elle se nomme l’Eyanpaikka (le saut des Garçons) ; elle est, dit-on, très-redoutable, et on prend dans le voisinage un pilote exprès pour la franchir. Les bateaux l’évitent ordinairement et font un portage sur le bord de l’eau ; on me fit faire comme aux bateaux craintifs, et par un motif de