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AU SPITZBERG.

damas et de pékin broché, dont une petite-maîtresse parisienne se fût fort bien accommodée pour couvrir les fauteuils de son boudoir.

Les femmes de Saardam portent avec cela de grands chapeaux de paille presque ronds, doublés et bordés d’une étoffe de couleur très-vive, qui leur vont à merveille. Cette robuste et active population parée pour une fête, ce ciel bleu sans un nuage, cet horizon infini de la grande mer, ce printemps qui étalait sa pompe de fleurs dans ses rues-jardins, tout cela formait un tableau ravissant au regard et doux à l’âme, dont j’ai joui avec bonheur pendant quelques heures.

Ensuite j’ai été voir la maison de Pierre 1er.

On entre avec un sentiment de vive curiosité et une sorte de respect dans cette humble demeure où, pendant trois années, un homme qui possédait presque une moitié de l’Europe s’est astreint aux études arides et aux pénibles labeurs d’un constructeur de navires. Pierre 1er sur le chantier de Saardam apparaît dans l’histoire comme une rare et noble figure ; il y a une vraie grandeur dans son exil volontaire loin de la patrie, loin du trône, dans cette humilité du puissant devant le travail, du despote à demi sauvage devant la civilisation, dans cet hommage rendu par la force à l’intelligence. On sent qu’en faisant cela cet homme apprenait à construire un navire, mais songeait à édifier un empire.

La maison où il méditait ses grands projets et se livrait à ses modestes études est petite, bâtie en bois, très-simple, une vraie chaumière, divisée en deux pièces : dans celle du fond, on montre la table où il