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VOYAGE D’UNE FEMME

che verdoyante, mon oiseau gazouillant, mon poëme. Ce dernier mot est exquis.

À côté de récits pleins d’une grâce primitive, on trouve les choses les plus singulières : un génie présidant à la colique, une déesse des veines qui les file et les débrouille sur son fuseaux d’airain.

Parfois les runas racontent l’origine du monde et forment alors comme une sorte de Genèse païenne qui ne manque pas de grandeur. L’une d’elles décrit ainsi comment fut créé le fer :

« Au commencement, dit le poëme, il y avait trois vierges aux mamelles gonflées et douloureuses ; elles arrosèrent la terre de leur lait, la première avec un lait blanc, la seconde avec un lait noir, la troisième avec un lait rouge ; les trois espèces de lait, en pénétrant dans la terre, formèrent les différentes espèces de fer. »

Partout on trouve mêlée au récit la lutte éternelle de deux principes, l’un bon, l’autre mauvais, se disputant l’empire du monde. Ainsi, au nord comme au midi, en Finlande comme en Perse, l’esprit de l’homme met toujours en présence le bien et le mal, le ciel et la terre, la lumière et les ténèbres ; en Finlande cela s’appelle Wanaïmoïnen et Hiisi, dans l’Inde c’est Oromaze et Ahriman ; les noms sont différents, la pensée est semblable.

Je regrette bien que la rapidité de mon voyage ne m’ait pas permis de recueillir des fragments plus complets de ces runas, qui forment des poëmes si neufs et si inconnus[1].

  1. À l’époque où j’écrivais ceci, on n’avait pas encore l’excellente traduction du Kalewala, de M. Léouzon Le Duc.