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AU SPITZBERG.

supporté par deux appuis en maçonnerie, est recouvert de lames de plomb ; un autre cercueil revêtu de marbre noir est placé près de lui ; ce second cercueil renferme les restes de Frédéric Ier, le père de Frédéric II ; le père et le fils dorment là seuls et côte à côte. Du reste, pas une inscription, pas une de ces statues, froides filles de l’art, qui du moins, font penser au mort et appellent la prière ; cela n’a ni la grandeur d’un monument, ni le charme triste que la nature sait répandre sur une tombe, ni même la poésie de l’abandon, la poignante mélancolie de l’oubli sur un grand nom. C’est un caveau bien entretenu, contenant deux bières en bon état, voilà tout ; c’est muet, positif et glacial.

La nudité de ce tombeau me rappela que je n’avais pas vu à Berlin de statue de Frédéric II. La Prusse me semble bien indifférente pour son héros, un des plus grands hommes du dix-huitième siècle. N’est-ce donc pas à elle à honorer sous toutes les formes l’homme qui a fait du marquisat de Brandebourg le second royaume d’Allemagne, et de quelques millions d’hommes peu comptés en Europe une nation forte, guerrière, puissante et respectée ! Cependant, ce n’est pas la coutume des peuples de se montrer ingrats envers leurs grands hommes morts ; vivants, c’est différent.

Les deux heures se passèrent enfin, nous revînmes à Berlin. J’allai dîner en habit de voyage et toute couverte de la poussière de l’empressement ; on voulut bien rire de ma mésaventure ; je ne sais si les femmes ne rirent pas un peu aussi de mon accoutrement : elles en avaient le droit. Je faisais un