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VOYAGE D’UNE FEMME

le pont présentait l’aspect du plus inexprimable désordre ; les bagages des passagers couraient éperdument d’un bord à l’autre, à moitié entraînés par les lames, à moitié précipités par la terrible pente du plancher. Quatre hommes furent chargés de débarrasser le pont en jetant à la cale tout ce qui gênait les communications et interceptait le service. L’ordre fut exécuté de la manière la plus expéditive : on ouvrit une écoutille, et les robustes matelots commencèrent à précipiter pêle-mêle dans ce trou noir sacs, caisses, malles et valises indistinctement ; mais alors à la bourrasque du dehors se joignit une bourrasque plus violente : la colère des femmes, indignées de voir traiter ainsi les boîtes contenant l’espoir de leur coquetterie, le précieux arsenal ou devait se ravitailler leur beauté l’hiver suivant. Je m’étais souvent posé cette question : la maladie surmonte-t-elle la coquetterie ? ou au contraire la coquetterie surmonte-t-elle la maladie ? Après avoir assisté à l’émeute dont je fus témoin en cette circonstance, je suis à jamais pour la dernière assertion.

L’héroïsme avec lequel mes compagnes de voyage avaient dompté le mal de mer en faveur de leurs chapeaux français ne fut pas inutile. Le capitaine, abasourdi et vaincu par le vacarme de ces dames, ordonna d’amarrer et de couvrir soigneusement avec des prélarts les colis susceptibles d’être écrasés en tombant. Cette concession faite, le calme se rétablit.

Pendant plusieurs heures encore nous formes secoués comme des grains de plomb dans une bouteille ;