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VOYAGE D’UNE FEMME

près soixante-dix ans, droit, grand, avec des cheveux très-blancs et des yeux bleus fort doux ; un parler lent et un peu étudié, quelque chose dans les manières visant à la majesté affable, et qui sent un peu trop la pose. Au bout d’un quart d’heure, sa contenance m’avait donné la juste mesure de la façon dont on l’apprécie dans son pays. Cette façon, nous la connaissons mal en France. Le Danemark élève son sculpteur aux nues ; il lui fait des ovations : il le comble d’honneurs sous toutes les formes ; il le traite enfin comme aucun homme de génie ne l’a été de son vivant ; pourtant j’ose dire en France que Thorwaldsen n’est qu’un homme de talent. C’est peut-être précisément pour cela : les hommes de génie ne sont jamais compris entièrement pendant leur vie. Les auréoles durables entourent rarement un front vivant ; elles ne rayonnent qu’au-dessus des noms écrits sur le marbre des tombeaux. Pour les hommes de talent, la destinée leur escompte leur illustration dès ce monde, et ils n’ont rien à réclamer de la postérité. Ils sont les amants du succès, non les favoris de la gloire.

L’atelier de Thorwaldsen se trouvait peu garni d’œuvres : je ne pus voir que quelques groupes ébauchés et un Neptune colossal entouré de tritons, d’une masse noble et d’une heureuse composition ; en revanche, ses appartements étaient abondamment pourvus de portraits de lui sous tous les aspects. Je lui garde rancune d’en avoir laissé faire un où on le représente paré de toutes ses décorations ; il en a près d’une quarantaine ; avec tous ces petits bouts de rubans ajustés les uns auprès des autres, il sem-