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Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/155

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l’avoir en vain attendue pendant plus de quinze jours, cherchant chaque soir quelques excuses pour ce retard ? Caroline parut enfin, mais sa visite fut si courte, et ses manières étaient si changées, qu’Hélen ne put s’abuser plus longtemps : la lettre qu’elle écrivait à sa sœur sur ce sujet exprime bien ses sentiments.

« Je suis persuadée, ma chère Lizzy, que vous êtes trop bonne pour vous glorifier de la supériorité de votre jugement, lorsqu’il me faut vous avouer que j’ai été trompée par les démonstrations d’amitié de Mlle Bingley ; mais, chère sœur, bien que l’événement prouve votre pénétration, ne me croyez point déraisonnable, si j’assure que, considérant sa manière d’être avec moi, ma confiance fut aussi naturelle que vos soupçons et si les mêmes circonstances se reproduisaient encore, je me laisserais, je suis sûre, abuser de nouveau. Caroline ne m’a rendu ma visite qu’hier, et durant cet intervalle, je n’ai reçu d’elle ni lettre, ni billet, et lorsque enfin elle est venue il était évident qu’elle n’y trouvait nul plaisir ; elle m’a fait quelques froides excuses de ne m’avoir pas vue plus tôt, ne m’a pas témoigné une seule fois le désir de me revoir ; et sa conduite à mon égard était en tout si changée que lorsqu’elle m’a quittée, je me trouvais parfaitement décidée à rompre tout commerce avec elle ; je la plains, quoique je ne puisse m’enpêcher de la blâmer ; elle a eu tort de rechercher mon amitié, car je puis dire avec vérité que c’est elle qui a fait toutes les avances ; je la plains cependant, parce qu’elle doit sentir qu’elle en a mal usé avec moi, et je suis d’ailleurs persuadée que l’inquiétude sur le sort de son frère, cause seule ce changement de conduite. Il est inutile de me mieux expliquer et, quoique nous sachions fort bien que cette anxiété est sans fondement, si cependant elle l’éprouvait, ses procédés ne m’étonneraient plus. Je pense même que cette inquiétude ayant pour objet un frère qui mérite si bien d’être aimé, on ne la saurait trouver qu’aimable et naturelle ; toutefois ces craintes m’étonnent vraiment, car s’il eût éprouvé quelque amour pour moi, il y a longtemps, bien longtemps que nous nous serions vus ; il sait que je suis à