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Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/240

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croire qu’elles ne soient point méprisées partout où elles se présenteront, et leurs sœurs ne partageront-elles pas trop souvent le même sort ? »

M. Bennet, la voyant réellement affectée, prit sa main avec tendresse, et répondit :

« Ne vous affligez point, mon enfant, partout où vous et Hélen serez connues, on vous rendra justice, et vous n’en paraîtrez pas avec moins d’avantage, parce que vous avez deux, je puis dire trois sœurs bien sottes. Nous n’aurons point de repos ici si Lydia ne va pas à Brighton : qu’elle y aille donc ; le colonel Forster est un homme sensé, il saura veiller sur elle ; et heureusement elle est trop pauvre pour être recherchée par aucun intrigant. À Brighton, sa coquetterie sera même moins remarquée qu’ici ; les officiers trouveront d’autres femmes qui mieux, que Lydia, méritent leurs soins : espérons donc que ce voyage, au contraire, lui fera connaître son peu de mérite. En tout cas, elle ne peut guère devenir pire. »

Élisabeth fut obligée de se contenter de cette réponse, mais son opinion ne changea pas, et elle quitta son père triste et mécontente, mais persuadée qu’elle avait fait son devoir. Elle résolut de ne point se désoler davantage pour un mal où elle ne voyait nul remède.

Si Lydia et sa mère eussent connu le sujet de son entretien avec M. Bennet, toute leur volubilité n’aurait pu exprimer assez vivement leur indignation. Une visite à Brighton était pour Lydia le comble du bonheur ; elle se représentait d’avance les rues de ce joli port couvertes d’officiers, elle se voyait d’avance l’objet des soins du plus grand nombre ; les beautés d’un camp ne furent point non plus oubliées : les tentes, placées en lignes régulières, formant les plus belles allées que fréquentait tout ce qu’il y a de jeune et d’aimable ; et, pour couronner le tout, elle se voyait elle-même assise sous une tente, recevant les hommages d’au moins six officiers à la fois. Aurait-elle pu croire que sa sœur voulût l’arracher à d’aussi chères espérances ? Quels eussent été ses sentiments ? Sa mère seule aurait pu bien les comprendre, par ce qu’elle éprouvait elle-même,