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Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/256

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mot prononcé par lui augmentait sa gêne, et l’idée de l’inconvenance qu’il y avait pour elle à se trouver chez lui, se présentait à son esprit avec une nouvelle force ; le peu d’instants qu’ils demeurèrent ensemble fut peut-être un des plus désagréables de sa vie ; quant à lui, il ne paraissait guère plus à l’aise ; lorsqu’il parlait, son accent n’avait point sa fermeté ordinaire. Il répéta ses questions sur l’époque où elle avait quitté Longbourn et le temps qu’elle devait rester dans Derbyshire, si souvent et d’un air si agité, qu’il était aisé d’apercevoir le trouble de son âme.

À la fin, toutes ses idées semblèrent lui manquer, et après être resté quelques instants sans rien dire, il se remit soudain, et prit congé d’elle.

Les Gardener la joignirent alors, et louèrent beaucoup la belle tournure de M. Darcy, mais Élisabeth ne les put écouter et, tout absorbée dans ses réflexions, les suivit en silence. Elle était accablée de honte et de chagrin : sa venue à Pemberley était, selon elle, la chose la plus imprudente, la plus malheureuse ; qu’allait-il en penser ? Quelle idée une telle démarche ne pouvait-elle pas donner à un homme aussi vain ? Ne semblait-il pas qu’elle se fût à dessein jetée encore sur son chemin ? Oh ! maudit voyage ! pourquoi y avait-elle consentit, ou pourquoi était-il arrivé un jour plus tôt qu’on ne l’attendait ? Si seulement il avait tardé de quelques instants, si elle eût elle-même été plus avancée dans le parc, cette fatale rencontre n’aurait point eu lieu, car il est évident qu’il ne faisait que d’arriver, qu’il venait de descendre de voiture… Ces réflexions, ajoutant encore à sa confusion, la firent rougir plus d’une fois. Elle songeait aussi, avec une vive surprise, aux changements opérés dans les manières de Darcy ; elle ne savait à quoi l’attribuer. Qu’il eût daigné lui parler, était déjà fort surprenant, mais lui parler avec tant de civilité, s’informer des nouvelles de sa famille l’était bien plus encore ; jamais elle ne lui avait vu un air si peu fier, jamais il ne lui avait adressé la parole avec tant de douceur que dans cette rencontre si imprévue : quel contraste entre leur entrevue d’aujourd’hui et celle qu’ils avaient eue dans le parc de Rosings, lorsqu’il