Nonobstant ce surcroît de travail, notre Philosophe avait terminé un petit ouvrage qui, quoique fortement empreint de métaphysique, est, par sa forme, un des plus piquants qu’il ait produits. Le 2 septembre 1769, il annonçait en ces termes cet opuscule à Sophie : « Je crois vous avoir dit que j’avais fait un dialogue entre d’Alembert et moi. En le relisant, il m’a pris fantaisie d’en faire un second, et il a été fait. Les interlocuteurs sont d’Alembert qui rêve, Bordeu, et l’amie de d’Alembert, mademoiselle de Lespinasse. Il est intitulé : Le rêve de d’Alembert. Il n’est pas possible d’être plus profond et plus fou. »
Dans l’Entretien avec d’Alembert, Diderot expose ses idées sur la vie, qu’il regarde comme une propriété générale de la matière. Il croit à la sensibilité de la molécule organique et à l’unité des phénomènes physiques, chimiques et physiologiques ; or, nous n’avons pas besoin de faire ressortir ce qu’a d’erroné une telle conception, laquelle est d’autant plus singulière que le Philosophe était lié avec
la cour de Prusse. Informant Sophie de l’arrivée de Grimm à Paris, Diderot disait : « Frédéric l’a arrêté trois jours de suite à Potsdam, et il a eu l’honneur de causer avec lui deux heures et demie chaque jour. Il en est enchanté ; mais le moyen de ne pas l’être d’un grand prince, quand il s’avise d’être affable ? Au sortir du dernier entretien, on lui présenta, de la part du roi, une belle boîte d’or. Cela est fort bien ; le prince de Saxe-Gotha a fait encore mieux : il lui a donné un titre, je ne sais quel, et il a attaché à ce titre une pension de douze cents livres. Ajoutez à cela un ventre très-rondelet et une face lunaire qu’il a rapportés de son voyage, et vous trouverez qu’il n’a pas tout à fait perdu son temps sur les grands chemins. »