Page:Avezac-Lavigne - Diderot et la Société du baron d’Holbach, 1875.djvu/227

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répète que je suis inconsolable de mourir sans vous avoir vu… J’ai tâché de rassembler autour de moi le plus qu’il m’a été possible de vos enfants (les ouvrages de Diderot), mais je n’ai pas toute la famille, il s’en faut bien ; et où la trouver dans mes déserts ?… J’avais autrefois un ami qui était le vôtre, et qui ne me laissait pas manquer mon pain quotidien dans ma solitude ; personne ne l’a remplacé et je meurs de faim. Cet ami savait que nous n’étions pas si éloigné de compte, et qu’il n’eût fallu qu’une conversation pour nous entendre. Mais on ne trouve pas partout des hommes à qui parler. »

Cet aveu est bon à noter. Il montre que le poète n’était pas aussi convaincu qu’il voulait bien le paraître de l’existence de Dieu, et qu’il était plus franc quand il disait à madame du Deffand : nous ressemblons tous au capitaine suisse qui, avant la bataille, faisait cette prière : « Mon Dieu (s’il y en a un), ayez pitié de mon âme (si j’en ai une)[1]. »

  1. Dans une lettre à Cideville, il exprimait aussi d’une manière piquante toute sa pensée sur l’âme : « Je suis d’une faiblesse extrême et mon âme, que j’appelle Lisette, est très-mal à son aise dans mon corps cacochyme. Je dis quelquefois à Lisette : Allons donc, soyez donc gaie. Elle me répond qu’elle n’en peut rien faire et qu’il faut que le corps soit à son aise pour qu’elle y soit aussi. Fi donc, Lisette ! lui dis-je ; si vous tenez de ces discours-là, on vous croira matérielle. Ce n’est pas ma faute, a répondu Lisette ; j’avoue ma misère et je ne me vante point d’être ce que je ne suis pas. » Une autre lettre, d’un tour inimitable, est celle où il parle du péché originel : « Les misères de la vie, philosophiquement parlant, ne prouvent pas plus la chute de l’homme, que les misères d’un cheval de fiacre ne prouvent que les chevaux étaient tous autrefois gros