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sentimentales, morales, merveilleuses de la légende lui imposent dans l’espace et dans le temps ; à étudier à quels hommes elle convient exclusivement ; au prix de quelles transformations elle peut convenir à des hommes différents de ses premiers inventeurs.

Mais l’immense majorité des contes populaires, presque tous les fabliaux, presque toutes les fables, presque tous les contes de fées échappent, par leur nature, à toute limitation.

Les éléments « qui les constituent réellement » reposent soit, dans la plupart des fabliaux et des fables, sur des données morales si générales qu’elles peuvent également être admises de tout homme, en un temps quelconque ; soit, dans la plupart des contes de fées, sur un merveilleux si peu caractérisé qu’il ne choque aucune croyance, et peut être indifféremment accepté, à titre de simple fantaisie amusante, par un bouddhiste, un chrétien, un musulman, un fétichiste.

De là, leur double don d’ubiquité et de pérennité. De là, par conséquence immédiate, l’impossibilité de rien savoir de leur origine, ni de leur mode de propagation. Ils n’ont rien d’ethnique : comment les attribuer à tel peuple créateur ? — Ils ne sont caractéristiques d’aucune civilisation : comment les localiser ? — d’aucun temps : comment les dater ?

On l’a voulu faire pourtant ; de là, ces vaines comparaisons de versions, si souvent tentées avant nous et par nous, et dont le lecteur trouvera plus loin des exemples significatifs ; — de là, ces bizarres constructions purement logiques, fondées sur la similitude de traits accessoires indifférents ; — de là, cette histoire étrange de chaque conte, histoire sans dates et sans géographie, soustraite aux catégories de l’espace et du temps ; ces généalogies où une