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fait littéraire. — Vous dites que nous devons parler français en français, et non picard ? Mais il est aussi illogique de parler aujourd’hui vieux français que vieux picard ; si nous voulons parler français, ne disons ni fabliau ni fableau, mais conte à rire ; de même, ne disons ni trouvère ni trouveur, mais poète. Qu’est-ce donc, d’ailleurs, parler français, sinon suivre l’usage du grand nombre, quand il est approuvé par nos écrivains ? Les savants ont le droit, entre eux, de refaire un mot technique, un mot d’érudits, non connu du public, et qui ne fasse point partie du trésor commun de notre vocabulaire. Mais il n’en va pas ainsi pour le mot fabliau. Pas un lettré qui ne le connaisse ; pas un écrivain de notre siècle qui ne l’ait employé. C’est sous cette forme qu’on le connaît à l’étranger, et sous cette forme que Victor Hugo lui a fait l’honneur d’une rime :

Ici, sous chaque porte,
S’assied le fabliau,
Nain du foyer qui porte
Perruque in-folio…[1]

C’est donc l’un de ces mille et un mots à moitié réguliers dont toute langue foisonne, et contre lesquels il sied mal de se dresser en réformateurs. Telles, les expressions consacrées : l’esprit gaulois, le style gothique. Si impropres soient-elles, on ne peut s’en passer sans quelque gêne, partant sans quelque pédantisme. J’aime mieux Philippe le Bel que Philippe le Beau, Montaigne que Montagne, et je ne cesserai de prononcer violoncelle à la française que lorsque j’aurai entendu prononcer à l’italienne le mot vermicelle. Employer la forme fabliau, ce n’est pas, dites-

  1. Chansons des rues et des bois, Fuite en Sologne. — Comparez Condorcet, Tableau des progrès de l’esprit humain, éd. de l’an III, p. 168 : Les recueils de nos fabliaux sont pleins de traits qui rappellent la liberté de pensée… ; — Th. de Banville, Idylles prussiennes, éd. Lemerre, p. 144 ; — Michelet, Hist. de France, t. II, p. 62 (la naïveté de nos fabliaux) ; t. II, p. 63 (la veine des fabliaux) ; — Taine, Histoire de la litt. anglaise, t. I, p. 97 (prenez un fabliau même dramatique) ; — Daudet, Lettres de mon moulin : « Je trouve un adorable fabliau que je vais essayer de vous traduire en l’abrégeant un peu…, etc., etc. » — En Angleterre, c’est sous ce titre que nos contes ont été traduits (Way, Fabliaux or tales, 1815, 3 vol. in-8o). — En Allemagne : « Vergleicht man die afz. fabliaux mit den arabischen Mæhrchen…… » (Schlegel, Geschichte der alten und neuen Literatur, 1812, Œuvres complètes Vienne, 1846, t. I, p. 225), etc., etc.