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On arrive ainsi à une détermination suffisamment nette du mot et de la chose : les fabliaux sont des contes à rire en vers [1] ; ils sont destinés à la récitation publique ; jamais, ou presque jamais, au chant ; ils confinent parfois soit au dit moral, mais l’intention plaisante y domine ; soit à la légende sentimentale et chevaleresque, mais ils se passent toujours dans les limites du vraisemblable et excluent tout surnaturel.

On trouvera aux appendices la liste des contes que nous étudierons, en vertu de cette définition. Je propose d’adjoindre six fabliaux à la collection de MM. de Montaiglon et Raynaud, et d’en supprimer seize poèmes : les savants éditeurs seraient, j’imagine, disposés aujourd’hui à concéder la majeure partie de ces suppressions. Tel lecteur pourra ajouter cinq ou six contes, tel autre en supprimer cinq ou six autres. On le voit : le désaccord ne pourrait porter que sur un nombre infime de contes.

III

La liste que nous dressons comprend, au total, 147 fabliaux. C’est peu pour représenter le genre. Mais nous en avons assurément perdu un très grand nombre.

Pour se figurer l’importance de ce naufrage, qu’on se rappelle l’histoire du recueil de farces dit du British Museum[2]. Dans un grenier de Berlin, vers 1840, on a retrouvé un vieux volume,


    Comparez encore ce passage :

    Or reviendrai a mon tretié
    D’une aventure qu’emprise ai,
    Dont la matiere mout prisai
    Quant je oi la nouvelle oïe,
    Qui bien doit estre desploïe
    Et dite par rime et retraite.

    (V, 137, v. 38.)

    Une fois « retraite par rime », l’aventure qui a fourni cette matière devient un fabliau.

  1. Mais ils ne sont pas, comme le voudrait M. Pilz, tous les contes à rire en vers. Il faut considérer à part les contes à rire des grands recueils traduits de langues orientales, le Chastiement d’un père à son fils, le Roman des sept sages, etc…, et ceux des recueils de fables de Marie de France, des Ysopets, etc… Destinés à la lecture plutôt qu’à la récitation, distincts des fabliaux par leur origine littéraire, savante, et par d’autres caractères qui seront marqués plus loin, ces contes à rire forment un groupe qui complète celui que nous étudions, sans se confondre avec lui.
  2. V. Petit de Julleville, Repertoire du théâtre comique en France au moyen âge, 1886.