Page:Bédier - Les Fabliaux, 2e édition, 1895.djvu/74

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qu’ils représentent non pas une poésie primitive de l’humanité, mais l’œuvre artificielle d’une corporation sacerdotale fermée, non pas les conceptions des Aryas en la période d’unité de la race, mais une phraséologie exclusivement indienne, non pas une mythologie sur la voie du devenir, mais une littérature de théologiens beaux esprits ! Combien ont contesté à l’école sa théorie de l’âge mythopœique et de la maladie du langage, et ont réduit, comme le voulait Mannhardt, les conquêtes de la mythologie philologique, à trois ou quatre identités stériles, telles que Dyaus = Zeus = Tiu ; Varouna = Ouranos ; Sâramêva = Hermeias ! Combien, depuis M. Andrew Lang jusqu’à M. Gaidoz, ont raillé les dissensions intestines d’une école où, selon Schwartz, les orages auraient été l’élément mythologique par excellence, tandis que, selon M. Max Müller, le même rôle, dans les légendes, serait tenu par la paisible Aurore, ou, d’après un récent théoricien, par le Crépuscule ! Combien n’ont voulu voir dans ces mythes solaires, orageux ou crépusculaires — clefs à toutes serrures, — qu’une sorte de fantasmagorie monotone, qui supposerait que, sur les hauts plateaux de l’Asie centrale, « nos ancêtres n’auraient pas eu d’occupation plus chère que de causer de la pluie et du beau temps ! »

Il est manifeste que ces théories traversent une période sinon de déclin, du moins de recul ou d’arrêt, et la jeune école rivale, qui profite grandement des défiances dont souffre la philologie comparée, a su édifier pour les contes populaires une théorie nouvelle, encore en voie de formation, d’ascension première et de premier succès.

Voici, brièvement, quelles sont ses positions[1].

Quel est l’objet de tout système mythologique ? C’est d’expliquer l’élément stupide, sauvage et irrationnel des mythes, la mutilation d’Ouranos, le cannibalisme de Cronos, Déméter aux

  1. Cette analyse des théories de l’école anthropologique repose principalement sur les ouvrages suivants : E. Tylor, Researches into the early history of Mankind, Londres, 1865 ; Primitive culture, 1871 ; — Andrew Lang : Custom and Myth., 2e éd., 1885 ; la Mythologie, 1886 ; Myth, Ritual and Religion, 2 vol., 1887 ; son introduction à la traduction des Kinder und Hausmaerchen par Mistress Hunt, Londres, 1884 ; son introduction aux contes de Perrault, 1888, Oxford ; — enfin, la collection de la revue Mélusine, 1878, 1882 et années suivantes.