Page:Béranger - Ma biographie.djvu/13

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mal : j’étais bien, très-bien même. Quoique ma nourrice eût perdu son lait dès les premiers mois, ainsi qu’on l’apprit plus tard, et qu’à la mode de Bourgogne du pain trempé dans du vin m’ait souvent tenu lieu de bouillie, elle ne m’en éleva pas avec moins de tendresse et de soins. Fort inexactement payée, ce fut pourtant avec peine qu’elle me rendit à mon grand-père, à la charge duquel je restai jusqu’à près de neuf ans. Sa femme et lui avaient été assez peu tendres pour leurs enfants ; mais, fidèles au rôle des grands parents, ils me gâtèrent de leur mieux, firent de mes oncles et tantes mes très humbles domestiques, et ce n’est pas de leur faute si je ne contractai pas dès lors le goût d’une mise élégante et recherchée. Plusieurs fois atteint de dangereuses maladies, et sujet, dès le berceau, aux plus violentes migraines, je ne fus envoyé que bien tard à l’école, qui pourtant était tout vis-à-vis de la maison, dans l’impasse de la Bouteille. Je ne crois pas y avoir été plus de vingt fois, tant j’avais d’adresse à trouver des prétextes pour m’éviter cette pénible corvée. Mes bons parents me l’imposaient à regret, bien qu’ils eussent tous deux le goût de la lecture. Je me rappelle ma grand’mère lisant les romans de Prévost et les œuvres de Voltaire ; et mon grand-père commentant à haute voix l’ouvrage de Raynal, qui alors jouissait d’un succès populaire. J’ai pu douter depuis que ma