Page:Béranger - Ma biographie.djvu/266

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estimait pas plus sans doute et s’embarrassait fort peu également des préventions qu’il devait croire que je nourrissais contre lui, si tant est qu’il vît autre chose en mon humble individu qu’un objet de simple curiosité. Il se fit charmant pour moi et s’empressa de me parler politique ; c’est en cherchant à répondre à des réflexions malignes sur le compte du duc d’Orléans, aujourd’hui roi, qu’il me dit ce mot tant répété : « Ce n’est pas quelqu’un, c’est quelque chose. » Après plusieurs rencontres, je pus me convaincre que, si l’on lui avait prêté des mots spirituels, il pouvait en prêter bien davantage aux autres. L’esprit, chez lui, n’était que la parure d’un grand bon sens se résumant sous une forme brève et piquante. On aurait ignoré son âge et les différents rôles qu’il a joués, qu’on eût pu le deviner à tout ce qu’il y avait d’expérience dans ses paroles, relevées par ce ton parfait des gens de bonne société qui ont traversé des révolutions, que n’effarouche jamais le mauvais ton des autres. Il faut dire que sa position lui donnait un immense avantage dans les salons. À toute question, il prenait le temps de répondre ; il s’était fait oracle, et c’était ainsi qu’on l’interrogeait, attachant une pensée à son silence, qui souvent n’était que de l’ennui ou de la paresse, son vice favori. En somme, il n’avait rien d’élevé, rien de profond, rien de généreux ; parfaitement égoïste, il n’a jamais eu que son