Page:Béranger - Ma biographie.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tant les désordres, les corruptions, les extravagances du gouvernement de Barras, avaient découragé la nation, naguère encore si confiante dans ses forces.

Au milieu de ces malheurs publics, pauvre disciple de Juvénal, je rimais les alexandrins contre Barras et ses adhérents. On voit que j’ai eu de bonne heure aussi le goût de la satire, très-répandu alors, comme l’attestent les vers de Chénier, Lormian, Despaze[1] et de beaucoup d’autres. Mes chefs-d’œuvre en ce genre n’eurent pas le temps d’éclore : Bonaparte revint d’Égypte. Lorsque arriva la grande nouvelle de son retour inattendu, j’étais à notre cabinet de lecture, au milieu de plus de trente personnes. Toutes se levèrent spontanément, en poussant un long cri de joie. Il en fut de même à peu près dans toute la France, qui se crut sauvée[2]. Quand on produit de pareils effets sur un peuple, on en est le maître : les sages n’y peuvent rien. En débarquant à Fréjus, Bonaparte était déjà l’empereur Napoléon.

Je m’étais toujours fait un malin plaisir de prédire à mon père l’élévation future du vainqueur d’Arcole et de Lodi. Sa course en Égypte ne m’avait point

  1. Marie-Joseph Chénier, Baour-Lormian et Joseph Despaze.
  2. Il paraît avéré que Baudin (des Ardennes), l’un des patriotes les plus purs de la Révolution, mourut d’un saisissement de joie en apprenant que Bonaparte avait mis le pied sur le sol de France. Baudin (des Ardennes) aimait sincèrement et ardemment la République.