Page:Bérard - La résurrection d’Homère, 1930, 2.djvu/182

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Je croirais que, chez les vieux aèdes, les folles paroles s’échappaient de l’enclos de la bouche, comme parfois, pour courir vers le mâle ou vers la femelle, les bêtes en folie sautent l’enclos de pierres et d’épines où le berger les enferme la nuit : cette explication me semble conforme aux mœurs de l’Achaïe pastorale.

Quel que soit le sens précis que l’on adopte, il est visible que ces façons de dire n’avaient pas besoin d’explication pour l’auditoire homérique. Elles étaient passées dans le langage de l’épos, soit qu’elles eussent pour origine le parler populaire, soit qu’un des premiers écrivains les eût tirées et condensées de quelque comparaison en forme : « Telles s’échappent de l’enclos les bêtes que, la nuit, les aiguillons de l’amour affolent, telles s’échappaient de ses dents les paroles affolées par la colère ou le chagrin »... La longue et lourde comparaison d’autrefois serait ainsi devenue notre légère et ironique métaphore, — fin bijou d’art remplaçant la parure de gros luxe.

Car, ici encore, la modération, la réserve et la finesse sont les marques de cette urbanité. Le Poète aime le luxe à coup sûr : son langage est paré, orné, varié ; mais la « broderie », toujours sobre et discrète, n’a rien des tons criards, ni des pesantes et sonnantes clinquailles dont le