Page:Bérard - La résurrection d’Homère, 1930, 2.djvu/225

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’un des éléments constitutifs de ce drame est le moyen qu’Ulysse a de se révéler, aussitôt qu’il voudra : il n’a qu’à montrer la cicatrice de la blessure que jadis le sanglier du Parnasse lui fit à la cuisse ; femmes et hommes, princes et servants, tous au manoir et dans l’île en ont entendu parler ; que l’on aperçoive cette cicatrice, et le maître aussitôt est identifié. Au début du chant XXII, quand Ulysse, débarrassé de ses haillons, sautera sur le seuil, personne n’hésitera à le reconnaître : sur la cuisse nue, est apparue la cicatrice !

Mais au chant XVIII ! s’il est une heure et une assistance où Ulysse ne doit pas être reconnu, c’est en cette fin de la première journée, en ce festin où rien n’est encore préparé pour lui fournir les armes et les alliés de sa vengeance. Et voici que, pour lutter, les deux mendiants se troussent jusqu’aux reins :

« Ulysse se dévêt, montre ses belles et grandes cuisses », et personne parmi les prétendants, personne parmi les femmes et gens de service n’aperçoit la cicatrice !...

Il faut donc songer aux différents publics, que les Poésies eurent à contenter à travers les âges : aèdes et rhapsodes durent consentir, peut-être, bien des concessions au goût changeant des siècles, aux exigences de leurs récents auditoires.