Page:Bérard - La résurrection d’Homère, 1930, 2.djvu/35

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souvent de ces chanteurs aveugles qui se transmettaient les gestes et les légendes des ancêtres en leurs rédactions traditionnelles, mais qui composaient aussi des chants nouveaux.

Il semble donc que le Poète, écrivant lui-même et lettré, ait refusé la lecture et l’écriture aux devanciers qu’il mettait en scène. Il avait raison, je crois. À l’âge du Roi des Rois, les nobles « fils d’Achéens » se contentaient, se flattaient même d’une pareille ignorance : c’étaient gens de guerre, dont le robuste esprit et les vaillantes mains ne condescendaient pas à si humble besogne.

Dans ce même pays de Dodone où la Grèce achéenne avait l’un de ses grands sanctuaires et le plus révéré de ses dieux, j’ai connu vers 1890 une armée turque, à la solde du Sultan des Sultans, dans laquelle nombre de seigneurs albanais, fils de très illustres pères, gardaient le même dédain des techniques civiles, alphabet, calcul, sciences et lettres : ils n’en parvenaient pas moins aux plus hauts grades et n’y faisaient pas plus mauvaise figure que les autres mouchirs (maréchaux) du Padischah. Plusieurs de ces Diomèdes et de ces Ulysses (ils en avaient la ruse et la bravoure) se félicitaient d’être complètement illettrés et de laisser à leurs scribes le soin de toute correspondance, de leurs rapports et de leurs comptes, comme à