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et Anglais, tous ceux qui, dans le monde occidental, avaient su lire et écrire et s’étaient entendus au métier de la prose et de la poésie, avaient cru que deux grands et beaux poèmes supposaient un grand poète au moins, sinon deux. Temps d’ignorance et de superstition ! Fénelon, qui se servait de l’existence d’Homère pour démontrer l’existence de Dieu, était alors l’interprète du bon sens universel : « Qui s’imaginera que l’Iliade, ce poème si parfait, n’ait jamais été composé par un effort du génie d’un grand poète ?… Qu’on raisonne et qu’on subtilise tant qu’on voudra ! jamais on ne persuadera à un homme sensé que l’Iliade n’ait point d’autre auteur que le hasard[1] ! »

À la fin du XVIIIe siècle, l’érudition allemande avait changé tout cela. Elle avait en 1795 produit Frédéric-Auguste Wolf (1759-1824), le libérateur, le réformateur, l’Arminius, le Luther homériques, le prophète envoyé par le dieu des philologues pour détromper enfin l’univers. Homère, s’il avait jamais vécu, était mort, et pour toujours, en cette année de grâce 1795, au poteau des Prolégomènes où Wolf l’avait attaché et scalpé : « Nous voilà donc enfin délivrés de son nom ! » s’était écrié tout joyeux, en son prologue d’Hermann et Dorothée[2], Goethe qui, d’ordinaire, comprimait mieux en lui les instincts de la race et qui regretta presque aussitôt ce cri du Vandale.

Tout au long du XIXe siècle, la philologie à la mode germanique, travaillant pour assurer cette réforme et cette délivrance, avait enseigné aux nations que le travail d’un artiste n’était pour rien ou presque rien dans

  1. Fénelon, Traité de l’Existence de Dieu, I, chap. 1.
  2. « À la santé de l’homme, dont la hardiesse nous délivra enfin du nom d’Homère et nous ouvrit, à nous aussi, toute grande, la carrière ! Qui donc eût osé lutter avec les dieux, avec l’unique ? Mais être un Homéride, et fût-ce le dernier, peut encore être beau ! »