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les deux chefs-d’œuvre de l’art épique : c’était la poussée anonyme et la merveilleuse explosion de la « conscience nationale » qui avait dégagé, puis dégrossi les premiers matériaux de cette épopée grecque, comme de toutes les autres épopées primitives à travers le monde ; c’étaient d’anonymes arrangeurs qui avaient classé et retaillé ces matériaux, puis les avaient dressés suivant l’esthétique irrationnelle, mais infaillible du « génie populaire » ; enfin une sorte de contrôleur-général des bâtiments homériques, anonyme lui aussi, — à moins qu’il ne se nommât Lycurgue, Solon, Pisistrate, Zénodote ou même Aristarque, — était tardivement intervenu pour en raboter les joints et en unifier la façade.

Depuis le milieu du xixe siècle, voilà ce que l’on appelait communément, en France et dans le monde entier, « théories de Wolf » : Fr.-Aug. Wolf était présenté aux générations nouvelles soit comme l’Érostrate qui avait saccagé le plus vénérable des sanctuaires d’Ionie, soit comme le Prométhée qui avait apporté au monde des hellénisants la lumière et le feu, mais toujours comme un grand homme et comme l’un des génies, bons ou mauvais, de l’humanité. Répandue en Allemagne dès l’apparition des Prolégomènes (1795), la réputation de Wolf s’était établie chez nous vers 1828, grâce à un article que le savant et consciencieux Louis-Épagomène Viguier lui avait consacré dans la Biographie Michaud[1] : Wolf venait de mourir à Marseille (1824), où ses proches et disciples avaient inscrit sur sa tombe l’épitaphe,

  1. Dès 1797, C[aillard] avait donné des Prolégomènes de Wolf une analyse très exacte et louangeuse dans le Magasin Encyclopédique de Millin (IIIe année, 1797, t. III, p. 202-222) ; il s’était attiré une vive réplique de Sainte-Croix dans le même périodique (t. V, p. 66-79 et 191-209), sous le titre de Réfutation d’un Paradoxe sur Homère ; de 1797 à 1828, on peut dire que ce mot de « paradoxe » était resté attaché au nom de Wolf et à son œuvre. Cf. E. Egger, Mémoires de Littérature ancienne (1862), p. 80.