Page:Bérard - Un mensonge de la science allemande, 1917.djvu/80

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gnac, en cela, a pour disciples aujourd’hui bien des historiens des littératures française, anglaise, germanique, espagnole, serbe, aussi bien que grecque. Avant l’éclosion des poèmes épiques, ou, pour parler la langue d’aujourd’hui, avant l’époque des chansons de geste, la plupart de nos érudits supposent une période préparatoire, où l’épopée ne bégayait que de courtes et naïves « cantilènes ». Entre eux, le débat s’élève parfois sur la naissance de ces cantilènes, sur leur durée et leur valeur, comme sur leurs rapports avec les chansons de geste qui, pour être venues après les cantilènes, n’ont pas été forcément composées de cantilènes. Mais l’accord se rétablit aussitôt pour proclamer qu’au second âge de la poésie épique, la chanson de geste fut toujours et partout une œuvre savante, littéraire, que des gens de métier, quelquefois des savants, des « clercs » composaient, chantaient et « jouaient » pour le divertissement et la gloire des grands de ce monde, pour l’édification et le plaisir des simples, mais aussi pour le bénéfice et même la subsistance de leurs auteurs et récitants.

Après l’âge des cantilènes, plus ou moins spontanées et improvisées, la chanson de geste apparaît donc comme une production de métier et une œuvre « de cour » ou « d’Église » ; elle est savante, courtoise et cléricale, si l’on peut dire. Mais elle ne peut vivre et faire vivre son homme qu’en conquérant la faveur de la foule illettrée. Elle doit donc être représentée devant le public. C’est un poème dramatique, si l’on entend par drame toute œuvre littéraire qui s’adresse moins aux yeux d’un lecteur qu’aux oreilles d’un auditoire ; c’est un drame de forme monologuée, d’inspiration aristocratique ou religieuse, descendu des châteaux du seigneur ou des cloîtres du moine aux carrefours des rues et des routes, pour la joie, mais aussi pour l’édification et l’instruc-