Page:Bérard - Un mensonge de la science allemande, 1917.djvu/84

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modernes sur l’origine de la tragédie nous ramènent à la première de ces idées de d’Aubignac touchant les danses rituelles et les cantiques sacrés de Dionysos-Bacchus. Je crois que les « néo-unitaires » homériques seront bientôt conduits à reprendre la seconde touchant la continuité évolutive de l’épopée et de la tragédie grecques.

L’exemple de l’Espagne leur montre, en effet, comment les récitations épiques évoluent vers le drame dialogué, quand cette évolution naturelle n’est pas détournée par l’intervention d’influences étrangères. En France, l’épopée, sortie de la cantilène guerrière et épanouie dans la chanson de geste courtoise, se flétrissait dans le roman bourgeois ou populacier, quand la Renaissance nous apporta la tragédie antique et fit de notre théâtre le domaine des héros et des règles de l’antiquité. En Espagne au contraire, quand la chanson de geste se fut disloquée en de courts romanceros populaires, l’évolution librement continuée tira le théâtre national du même fond de légendes épiques et, seul de tous les peuples européens, l’Espagnol fit remonter sur la scène classique les mêmes héros nationaux, le même Cid qu’avant le romancero, avait chantés la chanson de geste et peut-être, avant la chanson de geste, la cantilène.

A tort ou à raison, par une bonne ou une mauvaise interprétation des textes anciens, d’Aubignac conjecturait que les choses s’étaient passées dans la Grèce antique comme nous les voyons, nous, se passer dans l’Espagne moderne. Libre à nous de crier au devin et de contester la justesse de cette vue, comme il se peut que, dans quelques années, nos successeurs contestent la justesse de la nôtre. Mais on ne saurait en nier ni la nouveauté, ni surtout la légitimité dans un livre qui s’appelle Conjectures et dans la bouche d’un auteur