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WOZZECK

Wozzeck. — Je suis bien assis, et dans le tombeau je ne serai pas mieux.

Le soldat. — Es-tu ivre ?

Wozzeck. — Non ! malheureusement ! Je n’y parviens pas !

Premier ouvrier (à l’intérieur. Il s’est placé sur la table et prêche). — Cependant, si un voyageur qui se tient penché sur le fleuve du temps ou qui interroge la sagesse divine, se demande à lui-même : Pourquoi donc l’homme existe-t-il ? En vérité, chers auditeurs, je vous le dis, il est bon qu’il en soit ainsi, car de quoi auraient dû vivre le paysan, le tonnelier, le tailleur, le médecin, si Dieu n’avait pas créé l’homme ? De quoi aurait dû vivre le tailleur, si Dieu n’avait pas implanté chez l’homme le sentiment de la pudeur ? De quoi auraient dû vivre le soldat et l’aubergiste, si Dieu n’avait donné à l’homme le besoin du meurtre et du vin ? Aussi ne doutez pas, mes amis, oui ! oui ! que tout est aimable et beau, mais que toutes les choses terrestres sont vaines : l’argent même entre en décomposition, et mon âme immortelle pue fort l’eau-de-vie. Pour conclure, mes chers auditeurs, p..... en croix, afin qu’un juif meure !

Wozzeck. — Elle a des joues rouges, et lui une belle barbe ! Pourquoi donc pas ? pourquoi donc pas ?

Un fou (se presse à la fenêtre à côté de Wozzeck). — Gaiement, gaiement, mais cela sent —

Wozzeck. — Fou ! que veux-tu ?

Le Fou. — Je sens, je sens l’odeur du sang !

Wozzeck. — Du sang ! Ah, du sang ! Je vois rouge. Il me semble que tous roulent les uns sur les autres dans une mer de sang.