Page:Baïf - Euvres en rime, t. 2, éd. Marty-Laveaux, 1883.djvu/314

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N’est pas fort grand : ce n’est gloire petite
Que de sauver de la Grece la fleur.
Et ce n’est peu voir un païs meilleur,
Mieux cultivé, et ces illustres villes
Dont on nous parle, ars et façons civilles,
Et ce Jazon, pour qui (tant il m’est chier)
Je quitteroy le monde tout entier.
L’ayant mary, bien heureuse estimee
Seray de tous, et des Dieux bien-aimee
Et des humains. Quand sa femme seray
Du haut du chef les cieux je toucheray.
Mais quoy ? lon voit sur les profondes vagues
S’entreheurter deux hautes roches vagues :
Une Charybde ennemie des naus
Tantost humer, tantost vomir les flots :
Mesme une Scylle aux eaux Siciliénes
Aspre glappir entouree de chienes
Fieres à voir : je n’auray point de peur
Si une fois ie puis avoir tant d’heur
Que de tenir d’une douce embrassee
Ce qu’aime tant : si de peur suis pressee,
Si j’ay frayeur, seulement ce sera
Pour mon Jazon, qui lors m’embrassera.
Quoy ? Penses-tu que ce fait mariage ?
À ton forfait, ô Medee mal sage
(Pour le masquer) tu donnes un beau nom.
Regarde, voy quelle grande traison
Tu entreprens : regarde, considere
Le grand forfait, et ta proche misere,
Si tu le fais : paravant qu’il soit fait,
Si tu le peux, garde toy du forfait.
Elle avoit dit : Droitture et reverance
Devant ses yeux renforçoit la constance
Du cœur brulant : devant son bon propos
Amour vaincu déja tournoit le dos.
Elle s’en va de ses passions vuide
Au vieil autel d’Hecate Perseïde,
Qu’un bois ombreux et segret encouvroit :