Page:Badin - Une famille parisienne à Madagascar avant et pendant l’Expédition, 1897.djvu/84

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Dans sa vie, Michel avait assisté plus d’une fois au spectacle terrifiant d’une agonie ; il avait vu des êtres chers se débattre sous ses yeux contre l’inexorable mal, avec cette révolte de la vie qui ne veut pas s’abandonner ; mais jamais il n’avait été témoin, et témoin hélas ! impuissant, d’une scène comparable à celle-ci. Tantôt la chère créature se raidissait dans ses bras, et il lui fallait toute sa force d’homme vigoureux pour l’empêcher de s’en échapper ; tantôt, abattue par des vertiges, comme si la terre s’enfonçait ou se renversait sous elle, elle retombait inerte sur les oreillers, prise soudain d’une faiblesse si grande qu’on aurait pu la croire morte sans les soubresauts douloureux qui la secouaient par moments. Puis les lèvres boursouflées s’agitaient, les yeux s’ouvraient démesurément, tout ce qui restait de vie se portant maintenant au cerveau.

Soudain un grand frisson passa sur tout le corps, le visage devint pourpre, les yeux s’injectèrent de sang, et des lèvres déjà noires s’échappèrent quelques mots que Michel ne saisit pas d’abord. Se penchant sur le lit, tout près de la moribonde, et retenant sa respiration, il écouta de toute son âme cette voix brisée qui murmurait avec des efforts inouïs quelques mots entrecoupés par des hoquets d’agonie

« Restez là maintenant,… ne me quittez pas,… mettez-vous devant moi… tous les trois… que je vous voie,… que je vous sente près de moi… jusqu’au bout ! »

A ce moment, un rayon de soleil entra dans la chambre et vint s’arrêter sur le lit. La pauvre femme sourit, et fit le mouvement de caresser de sa main amaigrie cette traînée insaisissable de lumière.