Page:Baillon - La Vie est quotidienne, 1929.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peine les ménagères. Mais pendant la guerre !… Je me souviens d’un petit théâtre. On y jouait je ne sais quelle pièce. Au deuxième acte, un monsieur offrait à dîner à une dame et ce dîner, ma foi, c’était des pommes de terre. Bon Dieu ! ce dîner ! La ville entière en parlait. Le soir, la salle était comble. Que pendant ce dîner le monsieur arrivât à ses fins et embrassât la dame, la pièce n’était pas là. Mais ces pommes de terre fumantes, dont on devinait le parfum, qu’ils piquaient d’une fourchette négligente, qu’ils se mettaient pensez donc ! dans la bouche, étaient-ce de vraies ou de fausses pommes de terre ? Même de gros Allemands se payaient un fauteuil pour savoir.

Dame ! en deux ans, l’occupant avait fait de la « kartoffel » quelque chose de sérieux : un problème. On n’en voyait pas dans les magasins. Il fallait des ruses pour s’en procurer : les chercher au loin, chez les paysans les mendier à prix d’or ; quand on les avait bien dissimulées, prendre des sentiers détournés, se terrer dans les buissons, car si des patrouilleurs survenaient, elles étaient pour eux, vos pommes de terre. Bref, à moins d’être riche ou de posséder un champ, mieux valait ne plus y songer.