Page:Baillon - La Vie est quotidienne, 1929.djvu/218

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Pour ma part j’y avais renoncé. J’exerçais le métier de journaliste-chômeur. Être journaliste-chômeur, c’était avoir été par exemple secrétaire de rédaction, puis avoir déposé sa plume pour ne pas soumettre sa « copie » à la censure et vivre de l’air du temps. Ce métier était honorable. Des confrères ont été décorés pour cela. Mais il interdisait le luxe des pommes de terre. Et il faisait maigrir…

J’étais très maigre. Eve, ma petite fille, très maigre aussi. Un jour, nous flânions dans la banlieue. On voyait des maisons ouvrières, quelques champs :

— Qu’est-ce cela, papa ?

— Du futur blé, ma petite…

— Et là ?

— Des espoirs de carottes…

— Et cela ?… Oh ! mais regarde donc, papa, une pomme de terre !

— Où cela, petite ?

— Là ! Au milieu du chemin.

En effet, dans la poussière, au milieu du chemin elle était là, cette pomme de terre ! Bien ronde, bien grasse, bien appétissante dans sa peau dorée de tubercule encore jeune. Eve en ouvrait des yeux tout grands.