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— Si je la ramassais, papa ?

Après tout, une pomme de terre sur la route n’appartient à personne : je la ramassai moi-même.

— Comment qu’on va la préparer, dis ?

— Ça ! ma petite, ce sera l’affaire de maman.

Puis je ne parlai plus. Je ne sais quelle suggestion me venait de cette boule qui pesait dans ma poche. Peut-être s’ennuyait-elle ? Ou bien pensai-je aux yeux de ma petite tantôt ? Ou bien ?… Le champ, où nous passions, multipliait à l’infini les plants du précieux légume. Je me décidai :

— Écoute, Eve, regarde bien autour de toi. Si tu vois arriver quelqu’un tu me le diras : moi pendant ce temps…

Qu’un père parlât ainsi à son enfant, cela n’était pas très moral. Cela n’était pas digne d’un journaliste-chômeur qui a mis faux-col et manchettes et mène au grand air sa fillette. Manchettes ou non, la faim est la faim.

Je fus, si j’ose dire, un voleur honnête. Je ne fis pas comme certains qui, pour un ou deux tubercules mûrs à point, arrachaient la plante entière, laissant bêtement pourrir le reste. Avec prudence, un peu comme on tâterait les œufs