Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’après des années, penser à Charles, c’est entendre un boum, et entendre un boum, penser à Charles.

Je lui disais tout. Moi ! moi ! moi ! Je jouissais en égoïste du bonheur de me confier à un ami, sans me demander si ces histoires ne l’ennuyaient pas. Je lui disais des choses que je n’eusse pas confié à maman. Sans doute si elle l’avait su, elle en eût pris du chagrin. Mais on a besoin de se répandre en dehors des siens : les parents ne comprennent pas cela. Charles connaissait mon aventure de page, sauf les points essentiels dont le pacte m’interdisait de parler

— Primo…

Ce qu’un Charles si méthodique pensait de ces lubies, on le devine. De la part de papa, des réprimandes m’eussent choqué. De lui, j’acceptais tout — même avec un certain plaisir, quand il se montrait sévère. Nous parlions aussi de religion. Il n’avait pas eu, dans sa vie, un curé de l’île Saint-Louis. Dieu, le péché qui pue, le diable qui rôde, il ne s’en souciait guère. Quand je lui racontais mes Ave, le bec de gaz, le perce-oreille, je voyais sur son front ses efforts pour comprendre. Je lui donnais un certain vertige. Il m’écoutait avec son éternelle patience.

— Oui… Oui… Tes scrupules d’absolu.