Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/119

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Il me venait quelquefois des idées baroques. Elles m’appartenaient, certainement, et je m’énervais à les défendre. Mais de quel arrière-fond montaient-elles ? Je me souviens qu’un jour je me pris à palper les os de son visage.

— Il faut que les choses durent, Charles. Penser que notre chair disparaîtra me rend malade. Maigres, secs, la peau sur les os, voilà comment j’aime les gens. Si j’embrasse quelqu’un, je cherche les pommettes, le front, où c’est dur, où l’on sent les os. Les rêves, même, disparaissent, Charles… Seul le squelette ne fuit pas.

Avec frénésie, je hachai ces phrases. Après son front, je lui cherchai les os des genoux, les côtes. Je finis par les chercher sur moi-même. Mes mains tremblaient. Qu’est-ce qui me prenait ? Cette fois, Charles me parla sans montrer son bout de langue :

— Toujours tes scrupules d’absolu. Moi je construirai des ponts. Ils dureront plus que tes squelettes.

Il laissa tomber ces mots et je me tus. Ce n’est pas lui qui eût vacillé en vertige sur une planche, à ras du sol.

Un dimanche, il me parut préoccupé, triste. Je l’avais négligé pendant quelques semaines. Nous déjeunions :