Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/120

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— Cela ne va pas, Charles ? Tu es…

Du coin de l’œil, il me montra sa mère.

— Allons, dit-il, avec un sourire forcé, sers-toi…

Lui-même ne mangea guère. Le café servi, la mère partie, il quitta la table, piétina dans la pièce, alla jusqu’à la fenêtre, en revint, y retourna, se planta derrière les rideaux. Je le rejoignis ; il ne parut pas s’en apercevoir. Nous étions au rez-de-chaussée. Dans la rue, presque personne : deux ou trois passants, quelques joueurs de foot-ball, une auto en pleine vitesse. Soudain, il poussa un petit gémissement. Je levai les yeux. Lui toujours si rouge, il était blanc. En suivant son regard, je vis qu’il observait une jeune fille. Elle marchait vite, ne se doutant de rien, tirée en avant par un gros chien en laisse. « Voilà, pensai-je, mon Charles amoureux. Mais pourquoi être si pâle ? Et ses yeux ! »

Ses yeux, en effet, si paisibles d’habitude s’ouvraient tout grands, avec une certaine angoisse. Les paupières sautaient tout le temps. Je l’appelai :

— Charles !

Il ne répondit pas. J’appelai plus fort :

— Charles.

Il regardait toujours. Je m’éloignai. Il resta quelques instants encore et quand la jeune