Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/170

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Je lançai triomphalement le mot ignoble.

— Que me racontes-tu là ?

— Ça t’étonne, hein ? Elle habite à… Cela ne te regarde pas. Nous nous rencontrons dans… euh ! dans l’autobus. Ses genoux frôlent les miens. Jamais, tu entends, jamais je ne lui dis un mot.

— Bah !

— Quelquefois je la rencontre dans la rue. Elle mène son chien en laisse. Eh bien, mon cher ami, je voudrais être son chien.

Je clignai des deux yeux à la fois. En prononçant « être son chien » j’avais eu un véritable sanglot. Pourtant je me rendais compte de ma stupidité. J’étais infâme. Je profanais la douleur de mon meilleur ami. Je m’emparais d’un nom qui ne m’appartenait pas. Voilà où me menait le contact de Dupéché. De plus, je bâtissais avec deux morceaux de vérité une histoire qui ne tenait pas debout. Si l’autre s’en apercevait ! Je ne sais si je rougis de chagrin ou de honte. Mais ces costauds n’y regardent pas de si près.

— Bien vrai ! s’étonna-t-il. Bien vrai !

— Tu n’en reviens pas ? dis-je avec orgueil.

— Pour sûr.

Vaincu ! Je l’avais aplati comme un vulgaire perce-oreille. Il réfléchit quelques se-