Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/230

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Elle baissa les paupières. Une larme en sortit, vieille de vingt ans.

Il semble qu’à certaines heures on vive dans une atmosphère où le moindre fait, le moindre mot prennent de l’importance, parce qu’autre chose se prépare et déjà vous enveloppe. Nous ne dîmes pourtant rien que de banal. Et tout cela est confus, tant le vin de Dupéché, ma course dans Paris, mon aventure avec cette femme m’avaient embrouillé. Il est probable qu’à certain moment je me mis à la fenêtre. Peut-être même je sortis, car il me reste dans les yeux des morceaux de souvenirs : un coin de rue, des choux sur une charrette, une main de pauvresse dans laquelle je dépose quelques sous… Dans la chambre, la femme s’était enveloppée d’un châle. Je savais son nom : Nelly. Plus rien en elle ne rappelait la peau de phoque et ce qui avait suivi. À cause d’une douceur sur ses lèvres, après avoir fait pleurer les anges, il me semblait maintenant les voir sourire. Comme je m’arrêtais devant le crucifix :

— Cela t’étonne ? demanda-t-elle. Oui, j’ai voulu devenir religieuse. Aimer la Vierge, soigner les vieillards, élever des orphelines. Le couvent ne m’a pas voulue.

— Pourquoi ?

— Les bourgeois non plus ne me voulaient