Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/252

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avec sa Jeanne. Quelle joie, puisqu’il eût été vivant. Quelle jalousie puisque j’aimais sa Jeanne ! J’eus mal comme si tout cela se réalisait. Mais non ! il était loin, le pauvre Charles ; sa Jeanne… Je lui serrai les doigts.

— Ma chère Jeanne.

Je frissonnais encore. J’avais bu déjà trois portos.

Bientôt on passa dans la salle voisine où la table était dressée. Sauf les mariés et leurs proches, les autres s’installèrent à leur gré, moi comme de juste près de Jeanne et par malheur en vis-à-vis de Dupéché. Il avait bien fait les choses. Boire, se servir délicatement d’un plat, lire sur le menu quel serait le suivant, chacun pouvait pour son compte se croire un goinfre d’Italien. On ne resta pas longtemps sans parler, bientôt on ne s’entendit plus. Il était difficile de suivre une idée dans ce bruit. Pensant à maman, je voulais boire le moins possible. Machinalement, ma main s’avançait vers mon verre. Jeanne me regardait alors avec une certaine inquiétude. Dupéché regardait aussi et son clin d’œil ordonnait : bois. À peine vidé, on remplissait mon verre. Ou bien un autre à côté se trouvait plein. Entre Jeanne et Dupéché, il y avait là une espèce de lutte. Je ne le compris que plus tard, sans quoi je me serais surveillé davantage.