Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/253

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La tête me tournait un peu. J’avais oublié l’enterrement. Par moment, les convives disparaissaient ; je me trouvais avec Jeanne, aussi seuls que si nous jouions à dînette dans sa chambre. Ou bien, nous occupions la place de Dupéché et de Louise. Cela pourrait arriver un jour. Je l’interrogeais des yeux :

— N’est-ce pas, Jeanne ?

— Oui, oui, répondaient les siens.

Brusquement, je revoyais tout ce monde autour de la table. Je m’imaginais quelque monstre à quarante têtes, bruyant, avide, que les servants ne parvenaient pas à rassasier. J’étais une de ces têtes, je ne retrouvais plus mon corps. Je pensais aussi à quelque mise en scène et que cette fête était préparée contre moi. Je n’aurais su dire pourquoi. Je sentais alors une profonde angoisse. Puis de nouveau, cela changea. Voir le bonheur des autres me rendait heureux. Ce cher Dupéché ! Il trônait avec sa Louise, héros aimé de la fête. Tous ces convives étaient réunis pour lui ; tous ces convives étaient heureux à cause de lui. Qu’il eût écrasé un perce-oreille, qu’il m’eût persécuté de ses clins d’œil, qu’il existât ou non, c’était loin et sombrait dans la joie d’être tous autour de lui… Dupéché, lui ? Eh non ! il était Jacques, mon cher ami Jacques, le bon Jacquot, un honnête homme