Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/265

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je me souvins de tout. Je me jetai à genoux :

— Non, Charles ! Je ne suis pas un traître. Je devais partir, tu le sais bien, je le devais.

— Traître ! traître !

La voix tombait de tous les arbres, la voix montait de la terre, la voix était en moi. Et le pianiste se mit à taper plus fort, le monstre demandait à manger, le Monsieur levait son verre, levait son verre, levait son verre. Je vis Charles tel qu’il était, le visage rouge, la sueur au front, le petit trou entre les dents pour passer un bout de langue. Il ne marchait pas : il flottait dans l’air comme un chat au fil de l’eau. Un instant, il fut à ma droite ; puis il fut à ma gauche, donna contre un arbre, le contourna, s’arrêta accroché. Je me traînai vers lui. Sa main bougeait. Je la saisis. Elle craqua sous mes doigts : une feuille morte.

Alors, je connus la vraie peur. Je me jetai à travers tout, en plein galop. Je ne fuyais pas Charles, je fuyais sa voix, et à quoi bon ? Elle criait en moi. Je trébuchais dans des choses : des trous, des ornières, des ronces. Je ne m’en apercevais qu’après. Malgré ma frayeur ces trous me rappelaient la mère de Charles qui pataugeait derrière un corbillard. J’en riais comme alors.

J’arrivai dans un espace libre. Au milieu,