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Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/33

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aguicher les chiens. Certains nageaient très loin. Leurs maîtres étaient fiers : j’eusse été fier comme eux. On amenait aussi des chevaux. Ils étaient trop gros pour nager ; ils trempaient leurs pattes et buvaient sagement sans s’effrayer des seaux qu’on leur vidait sur la croupe. Un jour, je distinguai une bâche noire étalée par terre : sans doute, un homme se trouvait en dessous ; ses chaussures dépassaient. Les gens regardaient, puis s’en allaient. Un pêcheur pas loin ne pensait qu’à sa ligne. Quelque temps après, je revis la bâche. Je tâchai d’apercevoir les chaussures. Maman, qui me surprit, m’entraîna par la main.

— Ne regarde pas cela, petit. C’est un noyé. Il est mort.

Mort ! Elle prononça le mot avec horreur. Je ne le connaissais guère. Il me donna à réfléchir.

Au bout de l’île, je me risquais sur l’estacade. Par endroits, l’eau tournoyait sans vouloir s’en aller. Toutes sortes de débris abordaient là : de la paille, des oignons, beaucoup de bouchons, quelques bouteilles, souvent des corps de chats. Maman me l’avait défendu, je regardais pendant des heures. C’étaient aussi des morts. D’où venaient-ils ? La tête trop lourde pendait sous l’eau, la