Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/352

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possessions au dehors : nos provinces, dans un temps où le monde était plus étroit, lui tenaient lieu de colonies. Il lui semblait aussi naturel d’être à Bordeaux qu’aujourd’hui d’être à Bombay.

Les gouvernements avaient longtemps reculé une explication inévitable. Les populations eurent moins de patience que les rois. Édouard Ier et Philippe le Bel ne se déclarèrent pas la guerre : elle éclata spontanément entre les marins normands et ceux de Bordeaux. Les gouvernements y furent entraînés après une longue procédure, Philippe le Bel ayant voulu juger et condamner Édouard comme l’avait été Jean sans Terre. Cette fois, le moyen juridique ne réussit plus. Le conflit était devenu celui de deux nations et le roi anglais était opiniâtre. Philippe le Bel comprit qu’une lutte grave s’ouvrait et il eut le premier cette idée que, pour combattre l’Angleterre, c’était sur mer qu’il fallait l’atteindre. La France commençait à avoir une marine. Les Croisades, les expéditions de Sicile et d’Espagne avaient formé des marins. Philippe le Bel appela dans la Manche les navires qu’il avait dans la Méditerranée. Les Génois construisirent à Rouen un arsenal et une escadre et lui donnèrent un amiral. Alors Édouard Ier, alarmé de cette force maritime naissante, suscita contre la France une coalition européenne, la même que celle de Bouvines. Philippe le Bel à son tour chercha des alliés et répondit par un véritable blocus continental auquel prirent part la Suède, la Norvège, les villes de la Hanse, les États ibériques. Mais, à ce blocus, qui devait étouffer l’Angleterre, la Flandre refusa de s’associer parce que ses tissages avaient besoin de la laine anglaise. Il fallait renoncer à la guerre économique ou bien forcer la Flandre à servir la politique française. Entre les deux belligérants, le pays flamand, — la future Belgique, — devenait le véritable enjeu.

On voit le caractère moderne de cette guerre où Philippe le Bel fit tête avec sang-froid aux plus grands périls. L’empereur germanique, Adolphe de Nassau, était entré dans la coalition ennemie et, par un manifeste insolent, avait revendiqué au nom de l’Empire des droits et des territoires, notamment Valenciennes. Les chroniques racontent qu’à cette réclamation, Philippe ne répondit que par deux mots écrits sur un vaste parchemin : « Trop allemand. » Ces deux mots, que certains