Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/95

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avec les intérêts, les tendances, les impulsions, les habitudes, les positions prises, les affaires en cours et les parties engagées au milieu desquelles elle est survenue, l’événement se réduit à ses proportions justes et la suite en est rendue explicable. Sinon, c’est une mêlée furieuse et confuse dont l’esprit perd le fil. Il devient alors plus court d’en juger les péripéties au point de vue apologétique et moral. De là, entre Français, un nouveau sujet de divisions et de querelles qui tombent d’elles-mêmes dès que l’on a saisi les forces diverses dont le jeu a entraîné si loin les acteurs de la Révolution.

Au moment où Louis XVI convoqua les États Généraux, il y avait beaucoup de questions pendantes en Europe : la plus naïve des illusions consiste à s’imaginer que le monde européen ait retenu son souffle en regardant les merveilles qui s’accomplissaient à Paris. Affaires d’Orient, affaires de Pologne, affaires des Pays-Bas préoccupaient les gouvernements. Ils virent tout de suite les événements de France comme un facteur nouveau qui s’offrait à leur politique et ils ne s’en montrèrent pas émus. En effet, ni les révolutions ni les chutes de monarchies n’étaient chose nouvelle en Europe et l’étranger n’avait pas de raison de s’étonner que la France passât par où avaient passé avant elle l’Angleterre, les Pays-Bas, le Portugal, la Suède, la Pologne, l’Amérique, etc… Les révolutions étaient un phénomène dont on s’offusquait si peu, que les monarchies les appuyaient parfois quand elles ne les avaient pas fomentées. Louis XIV donnait la recette au dauphin lorsqu’il lui enseignait comment il avait lui-même soutenu les restes de la faction de Cromwell, fourni des subventions aux républicains de Hollande et soulevé les Hongrois contre l’Empereur. Louis XVI encore avait appuyé les insurgés américains, et l’Angleterre — le fait est acquis aujourd’hui, — ne manqua pas, en 1789, de lui rendre la pareille. Parmi les gouvernements étrangers, les uns accueillirent donc les événements de France avec égalité d’âme, les autres avec satisfaction, au point que, selon un mot de M. Waddington, le roi de Prusse « allait faire des vœux pour la perpétuité des troubles révolutionnaires ». On lit encore dans le Manuel de politique étrangère de M. Émile Bourgeois, qui condense sur beaucoup de points les conclusions définitivement obtenues par l’école historique contemporaine : « Les