Page:Bainville - Histoire de deux peuples.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La vue du drapeau tricolore, voilà ce qui a soulevé le peuple, et il serait certainement plus facile de pousser de Paris sur le Rhin que sur Saint-Cloud. »


Ces paroles témoignent clairement que la raison profonde de la révolution de Juillet était la rancune, l’obsession laissée par les traités de 1815. Quand ils chassaient Charles X, les Parisiens songeaient moins à conquérir la liberté politique qu’à poursuivre au dehors le programme révolutionnaire et napoléonien, à qui le « testament de Sainte-Hélène » avait donné la force d’un évangile. C’était un premier essai pour imposer ce que M. Émile Ollivier, qui devait en être le serviteur, a pompeusement nommé « la politique que le peuple élaborait depuis 1815 ».

Choisi, « quoique Bourbon », pour le trône d’une nouvelle monarchie constitutionnelle, Louis-Philippe, justement parce qu’il était un Bourbon, ne devait pas permettre que la France courût au suicide. À peine avait-il commencé de régner que le malentendu, le conflit renaissaient. Louis-Philippe, la postérité a fini par le reconnaître, a épargné à la France une catastrophe en 1840. Il a sauvé notre pays en 1914 en aidant à constituer une Belgique indépendante, en faisant reconnaître la neutralité du nouvel État belge. Tel a été, comme l’a dit le duc de Broglie, le « dernier bienfait de la monarchie », un bienfait dont nous avons, en 1914, éprouvé tout le prix. Combien de Français se sont doutés alors qu’ils avaient été protégés, à près de quatre-vingts ans de distance, par la pensée salutaire du plus ridiculisé peut-être de tous nos chefs d’État ? La deuxième génération du XIXe siècle n’y avait rien compris. La légèreté, l’aveuglement avaient été effroyables. La politique « que le peuple élaborait depuis 1815 » méprisait les prudentes conceptions diplomatiques qui devaient un jour sauver la nation. La démocratie n’était pas éloignée de voir une trahison dans toute œuvre de salut public. Qu’on la laissât faire : elle assurerait en quelques instants