Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/129

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Juger quelqu’un m’a toujours semblé d’une énorme outrecuidance, mais juger ce que l’on considère comme un « quelqu’un potentiel », l’enfant, dépasse l’entendement. Les carnets scolaires des gens comme Tolstoï : « ni travailleur ni capable », Beethoven : « un cas désespéré », Darwin : « d’une intelligence plutôt en-dessous de la moyenne », Einstein : « d’une intelligence lente »[1] montrent tout bonnement que ces messieurs auraient dû être orientés dans les classes dépotoirs.


Tout le désir d’apprendre est volé par l’école avec effraction. L’attention est détournée par des maîtres escrocs ; l’enfant ne peut récupérer son bien qu’en douce. C’est pendant ses loisirs qu’il apprend tout ce qui le réjouit. À condition toutefois qu’on n’ait pas eu l’idée insensée, littéralement, de lui faire faire des « devoirs de vacances ».

Je ne défends pas ici une cause. C’est moi que je défends. Je fais partie d’une génération menacée. Les éducationnistes inventent des jouets pour les enfants dès le berceau et prévoient une formation pour nous tous. Via la télévision ou par affiches, nous serons peut-être tous réquisitionnés pour « apprendre de force » l’électronique ou n’importe quoi d’autre qui sera utile à la Société (capitaliste ou non, quelle importance !?). Des sanctions pèseront sur les réfractaires. Combien serons-nous d’insoumis, Marie ? Nous serons le nombre que nous sommes. Cela doit être clair pour tous. Demain il ne sera plus temps de se vouloir rebelles. C’est aujourd’hui ; c’est toujours aujourd’hui qu’il convient de refuser. Ceux qui attendent les « excès » dans l’inacceptable ignorent-ils que l’endurance humaine est infinie ? Toute l’histoire le prouve.

Que n’acceptons-nous pas, grands et petits, au nom de la socialisation ! Un anthropologue, Robin Fox, directeur de recherches à la Fondation Harry Franck Guggenheim de New-York, a développé l’idée que l’inculcation d’une masse de connaissances inutiles, terriblement difficiles à retenir, n’était que la perpétuation dans nos sociétés de l’initiation des sociétés primitives avec ses brimades raffinées.

On ne peut apprendre que dans la liberté. Je ne parle même pas de cette saloperie d’« orientation » qui a vu le jour en France dans les années 60 (avant, c’était les parents qui choisissaient, ce n’était pas beaucoup mieux), mais tout est fait pour nous empêcher de pénétrer le comment des choses, leur pourquoi. Illich faisait remarquer que le bric-à-brac moderne produit par les nations industrialisées ne permettait plus de

  1. Cf. « Les surdoués », C. Bert, dans Le Monde de l’éducation, novembre 1978.