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plus cette jeunesse plénière. Mais je ne vois en rien que cette perte de la jeunesse confère aux gens plus âgés je ne sais quelle supériorité appelée pudiquement « maturité ». Si certains osent parler d’un point « optimal » de la forme physique ou mentale qui appartiendrait à l’espèce, force leur est de constater, s’ils tiennent aux canons habituels, que ce point d’épanouissement intellectuel et physique se situerait grosso modo entre treize et dix-huit ans. Mais alors, qu’on confie le monde aux adolescents ! Quant à moi, je ne reconnais d’authenticité à ce « meilleur âge » de la vie qu’à celui que chaque individu estime être le sien. Certains ne se sont plus jamais sentis aussi perspicaces et intellectuellement développés qu’à quatorze ans, d’autres à soixante, les plus chanceux estiment qu’ils augmentent leurs facultés au fur et à mesure qu’ils prennent de l’âge. Laurence dit qu’elle était très belle à quinze ans et Thomas qu’il ne s’est senti bien dans sa peau qu’après cinquante ans.

La vie, c’est ce qui bouge, Marie.

Je ne vois pas d’objection à suivre Piaget lorsqu’il dit que le savoir fondamental de l’enfant n’est pas structuré de la même façon que celui de l’adulte et qu’il se recompose globalement à partir d’une interaction entre son expérience et le monde extérieur, se modifiant d’un âge à l’autre. Mais lorsqu’il dit que ces constructions successives consistent à coordonner les relations et les notions en les adaptant à une réalité de plus en plus étendue[1], je ne peux qu’être amenée à des questions. Veut-il dire par là que le processus d’appréhension du monde serait dynamique jusqu’à un certain âge puis statique ? Quand il parle de réalité plus « étendue », n’est-on pas trompé par ce qui n’est qu’une image spatiale ? Qu’est-ce qui me prouve que le nourrisson n’a pas une perception de l’univers plus « profonde » que la mienne ? Ne « comprend-il » pas mieux que nous certaines choses ? Est-ce qu’en vieillissant nous ne perdons pas — au moins — certaines facultés d’extase, par exemple, que nous ne retrouvons que très rarement, par accident ?

Il est vrai que lorsque Piaget parle de développement intellectuel, il ne parle que d’une des formes les plus insignifiantes de l’intelligence.

Quoi qu’il en soit, j’admets donc que l’enfant voie le monde sous un jour qui lui appartient. En vieillissant, l’enfant sera forcé de comprendre que la communication, hélas, suppose l’utilisation navrante de plus petits dénominateurs communs. Il lui faudra alors toute sa vie reconquérir sa singularité.

  1. Cf. Six études de psychologie, Jean Piaget, Denoël-Gonthier, 1964.