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le film chaque fois renouvelé : le monstrueux assassin devient d’un seul coup la victime d’une encore plus monstrueuse machine sociale.[1]

Je parle à dessein des « criminels » parce qu’ils hantent les discours des défenseurs du système carcéral, alors que les meurtriers représentent 5,8 % des détenus et que les trois quarts d’entre eux le sont par « accident » (lors d’une course poursuite avec la police, par exemple).

Mais les petits voleurs qui constituent la grande majorité des prisonniers sont des victimes par excellence, des gens brutalisés dès avant leur naissance, leur mère ayant été battue, à qui l’on a volé l’éducation la plus élémentaire, dont on a fauché à la racine la moindre confiance en soi, qu’on a privé systématiquement des biens qui en valaient la peine.

À l’origine d’un délit comme d’un crime, une blessure, une misère intérieure ; le coupable a commencé par être une victime, et pas seulement dans le cas aujourd’hui reconnu de tous de maltraitance d’enfant. Étrangement il vit cette situation avec le même désir (mais désespéré) de se voir rendre justice. Il n’en peut plus d’être nié. Thierry Lévy faisait remarquer qu’il y avait toute raison de croire qu’au moment de tuer, l’assassin vivait la même angoisse, le même vertige existentiel que ceux vécus par celui qui se suicide. Au sein de la folie, de la panique ou de la colère, souvent rien d’autre que du désespoir.


Se savoir surveillé à chaque instant suffirait en soi à provoquer un stress de très haut niveau, mais l’institution pénitentiaire va attaquer à l’acide un autre nerf encore : puisque le détenu semble peu enclin au remords, on va lui faire manger sa honte autrement jusqu’à ce qu’il soit dégoûté de lui-même à jamais. Il devra demander la permission pour tout : marcher, lire, étudier, voir les

  1. Sur le même basculement en faveur du condamné, rendu nécessaire pour le spectateur par le seul talent du cinéaste, voir aussi absolument Tu ne tueras point de Krzysztof Kieslowski.