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quand le tribunal donne vingt ans, c’est en présumant que le juge d’application des peines décidera au bout de dix ou quinze ans[1] d’une réinsertion possible mais nullement automatique. La peine de sûreté est une mesure prise contre l’espoir. Car l’espoir ferait vivre.

Les députés subordonnent toute politique à la recherche de succès électoraux et, à gauche comme à droite, réclament sans cesse plus de répression, autre mot pour dire châtiment. Et il se trouve que le châtiment d’aujourd’hui, c’est la prison. Les députés sont censés savoir ce qu’est l’incarcération, ils ont nommé une commission d’enquête[2] dont le rapport met les points sur les i : « La prison est conçue non pas comme un lieu où l’on va amender le délinquant, voire le guérir, mais comme un trou noir où l’on s’en débarrasse, un moment de non-vie. »

Serge Coutel, condamné à la détention à perpétuité, écrivait :

« Quand tu sais que tu es en train de faire perpète, ce n’est pas simplement un jour après l’autre, non : chaque jour, tu fais perpète en entier, avec les souvenirs anticipant de plus en plus tes souffrances à venir. Et cette solidification des heures, quand elles se cristallisent en une gelée vitreuse… Et la vie qui devient une maladie. C’est la plus terrible institution de notre époque que cette justice, fatiguée de surenchérir sur le crime qu’elle prétend punir, ne crucifiant plus, n’écartelant plus, ne dépeçant plus, n’empalant plus, ne brûlant plus et, même, ne décapitant plus. Il n’y a plus ni fer, ni roue, ni gibet, ni bûcher, ni rien.

« Ce qui remplace tout, c’est le temps. La vie amputée du temps ! C’est ça la prison : du temps infligé dans sa nudité. On ne tue pas, on laisse mourir. »[3]

  1. Nous avons dit plus haut que pour les récidivistes, la libération conditionnelle ne pouvait être demandée qu’aux deux tiers de la peine.
  2. L. Mermaz, J. Floch, Rapport de la Commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, Assemblée nationale, 28 juin 2000.
  3. Serge Coutel. L’Envolée, Lieu commun, 1985. Cité dans Au pied du mur, op. cit.