Aller au contenu

Page:Bakounine - Œuvres t4.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comment l’un et l’autre naissent-ils dans les masses populaires ? Le sentiment ou la conscience du droit est dans l’individu l’effet de la science théorique, mais aussi de son expérience pratique de la vie. La première condition, c’est-à-dire le développement théorique de l’intelligence, ne s’est encore jamais et nulle part réalisée pour les masses. Même dans les pays de l’Europe où l’instruction populaire est le plus avancée, comme en Allemagne par exemple, elle est si insignifiante et surtout si faussée, qu’il ne vaut presque pas la peine d’en parler. En |91 France elle est nulle. Et pourtant on ne peut pas dire que les masses ouvrières de ce pays soient ignorantes de leurs droits. D’où en ont-elles donc pris la connaissance ? Uniquement dans leur grande expérience historique, dans cette grande tradition qui, se développant à travers les siècles et se transmettant d’âge en âge, toujours grossissante et toujours enrichie de nouvelles injustices, de nouvelles souffrances et de nouvelles misères, finit par éclairer toute la masse du prolétariat. Tant qu’un peuple n’est point tombé en décadence, il y a toujours progrès dans cette tradition salutaire, unique institutrice des masses populaires. Mais on ne peut pas dire qu’à toutes les époques de l’histoire d’un peuple, ce progrès soit égal. Au contraire, il ne se manifeste que par soubresauts. Quelquefois il est très rapide, très sensible, très large, d’autres fois il se ralentit ou s’arrête ; d’autres fois encore, il semble reculer tout à fait. À quoi cela tient-il ?