Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/105

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et du triomphe de cette divine folie repoussée par les puissants et les sages du siècle, mais d’autant plus passionnément acceptée par les simples, les ignorants et les pauvres d’esprit !

En effet, il fallait un bien profond mécontentement de la vie, une bien grande soif de cœur et une pauvreté à peu près absolue de pensée, pour accepter l’absurdité chrétienne, la plus monstrueuse de toutes les absurdités.

Ce n’était pas seulement la négation de toutes les institutions politiques, sociales et religieuses de l’antiquité ; c’était le renversement absolu du sens commun, de toute raison humaine. L’être vivant, le monde réel, étaient considérés désormais comme le néant ; tandis que par delà les choses existantes, même par delà les idées d’espace et de temps, le produit dernier de la faculté abstractive de l’homme se repose dans la contemplation de son vide et de son immobilité absolue, cette abstraction, ce caput mortuum, absolument vide de tout convenu, le vrai néant, Dieu, proclamé le seul être réel, éternel, tout-puissant. Le Tout réel est déclaré nul, et le nul absolu, le Tout. L’ombre devient le corps et le corps s’évanouit commé une ombre.[1]

C’était d’une audace et d’une absurdité sans nom, le vrai scandale de la foi pour les masses ; c’était le

  1. Je sais fort bien que dans les systèmes théologiques et métaphysiques orientaux et surtout dans ceux de l’Inde, y compris le bouddhisme, on trouve déjà le principe de l’anéantissement du monde, reel au profit de l’idéal et de l’abstraction absolue. Mais il n’y porte pas encore le caractère de mégation volontaire et réfléchie qui distingue le Christianisme ; lorsque ces systèmes ont éte conçus, le monde de l’esprit humain, de la volonté et de la liberté, ne s’était pas encôre développé comme il s’est manifesté depuis dans la civilisation grecque et romaine